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Cette rubrique sera la plus longue que je n'ai jamais écrite. Mais, je sens un grand besoin d'écrire. Écrire pour sortir ce trop plein d'émotion et aussi partager avec vous cette difficile expérience que je viens de vivre.
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J'ai vécu une expérience très troublante. Je pensais avant aujourd'hui avoir côtoyé la misère, mais non, ce que j'ai vu aujourd'hui dépasse tout ce que j'ai pu voir a ce jour.
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Je suis ébranlée, triste et tellement impuissante que c'est frustrant. Je vous raconte.
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Il y a quelques temps, j'ai rencontré une jeune Dame qui s'investit bénévolement et ce à temps plein dans une cause ici à Dakar: le Village Pilote. Elle a toute mon admiration.
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Je voulais vraiment visiter ce centre qui vient en aide aux jeunes et aux enfants. Ceux qui veulent mettre un terme à leur relation avec le système, ceux qui sont errants dans la rue et ceux qui, jeunes adultes, veulent retrouver un sens à leur vie et apprendre un métier. J'étais également curieuse de voir et savoir comment les aider un peu.
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Je vous place le lien Internet. Vous verrez le site est bien fait et donne beaucoup d'informations. Moi ce que je veux vous raconter, c'est le réel, ce que j'ai vu, senti et ressenti surtout.
C'est donc sur ces bases que j'ai organisé une visite au village Pilote avec 2 autres dames et les 2 filles de l'une d'elle, venues passer l'été ici. Nous étions 5 à vouloir vivre cette journée.
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Le plan qui nous a été remis, nous mène dans un quartier très pauvre. Après de nombreux détours, nous arrivons enfin. On nous accueille très chaleureusement dans un endroit humble mais bien équipé. Nous sommes attendus. Au programme, il est prévu que nous participions à la vie de tous les jours au Village. Donc, 2 femmes partent avec moniteurs et enfants au potager, 2 restent pour aider et assister à la classe d'alphabétisation et moi je pars avec deux intervenants à la recherche de jeunes Talibés errants. Me voilà donc lancée dans l'enfer de beaucoup d'enfants et de jeunes au Sénégal.
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Nous voilà partis pour une marche d'environ 20 minutes arpentant dans un quartier sale et comment dire? Pauvre n'est pas assez fort. Y vivent bêtes, mendiants, familles, tôle rouillée, déchets, moustiques...Évidemment j'étais la seule *Toubab*. Je ne me sentais pas très à l'aise...Je me suis permise de partager mon état d'esprit avec les deux jeunes que j'accompagnais. Ils m'ont vite rassuré. Il est courant que des Toubabs les accompagnent et vous verrez me disent-ils, les enfants seront très contents de vous voir...Oui peut-être, mais ils faut les trouver et pour ce, traverser des zones qui ne m'inspirent pas du tout confiance....Une chance que nous sommes en plein jour... Bon je vais suivre leurs conseils, me tenir près d'eux, et faire confiance. Rien ne peut m'arriver paraît-il!!!
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Premier arrêt, le long de l'autoroute que nous avons traversée, je vous rappelle que nous sommes à pied... Sous un vieux camion abandonné, se cachent une dizaine de jeunes hommes. Lorsque nous arrivons près d'eux, ils sortent de leur cachette. Ils ont environ une vingtaine d'années. La majorité sentent la boisson ou encore ils sont drogués... Nous poursuivons notre route. Sur le côté du chemin des *maisons* faites de morceaux de bois, des piquets de bois plutôt qui tiennent les murs, des vieux morceaux de tissus. J'entends alors, Toubab, Toubab...Ce sont des touts petits qui glissent un peu le rideau, le mur pour me dire à leur façon bonjour... Ils vivent sur de la terre, entouré de rideaux et ils me sourient à pleine dents...ouf!!!
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Les deux plus jeunes du premier groupe nous escorteront jusqu'à la planque des jeunes que nous cherchons. Des plus jeunes. Âgés de 7 à 17 ans environ...
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Nous marchons encore un 15 minutes et rien dans le paysage ne s'améliore; poussière, déchets... Nous les trouvons, une vingtaine de jeunes cachés sous un viaduc au travers des ordures.
Là aussi plusieurs sont drogués, sales et très maigres. Plusieurs ont des plaies qui semblent infectés. J'apprends qu'ils se procurent de la gazoline pour très peu de sous et très facilement. Il leur coûte 100 FCFA (25 sous) pour une petite quantité de gaz, qu'ils mêlent à de l'eau et respirent les vapeurs. Comment leur en tenir rigueur? Engourdir leurs souffrances, oublier quelques instants leurs vies...
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Nous nous installons. Nous plaçons des nattes par terre, sortons cartons recyclés, peinture acrylique, pinceaux ou du moins ce qu'il en reste et nous débutons l'atelier de peinture. La trousse de premier soin est tout près de nous.
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Mon siège est un pneu, et je suis chanceuse car eux ils sont directement par terre.
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Ils viennent vers nous, s'approchent doucement. Je me pince...Suis-je bien sous un pont avec des jeunes errants qui tentent de fuir un marabout, qui tentent de survivre, qui doivent se battre pour se défendre? Plusieurs subissent des sévices physiques et sexuels.
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Mais....Il participent à l'atelier. De grands garçons qui trouvent un réconfort à dessiner et échanger avec nous. WOW
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Le noir est prédominant dans les peintures, pas étonnant. Sans être psychologue, il est facile de deviner que le noir représente leurs états d'esprit. Je tente de mettre un peu de couleur. Je place dans le coin de leur dessin un tâche jaune et leur indique de dessiner un soleil.....le jaune, le rouge, l'orange apparaissent en même temps que les rires et taquineries entre-eux. Durant le temps de l'atelier l'intervenant en profite pour soigner les plaies des jeunes et recenser quelques notes pour chacun. Ils essaient de garder la trace des jeunes avec le peu de moyen dont ils disposent. Les jeunes sont en confiance avec les intervenants. Ils ont la possibilité de les voir régulièrement et un lien de confiance se tisse. Si seulement ils pouvaient tous les sortir de cet enfer.
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Oups! Une bousculade éclate derrière. Un nouveau qui arrive veut se battre avec un autre jeune. Ils défendent leur territoire. Chacun défend son bien et ce bien est presque rien, mais c'est tout ce qu'ils ont.
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Bon maintenant, voilà le fournisseur de drogue qui arrive. Malgré la demande de l'intervenant, ce dernier distribue ce poison. Presque tous en achètent. Ensuite sans aucune gêne plusieurs respirent les vapeurs...Tellement difficile de voir des jeunes êtres se ruiner la santé ainsi...qui va les aider? C'est complètement fou.
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Une partie des jeunes du groupe s'amuse avec les couleurs et l'autre partie du groupe s'enfonce dans ce que je leur souhaite plus doux que leur réalité.
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Je félicite les artistes. Quelques uns ont très bien réussis. Je leur explique que je suis du Canada. J'établis le contact avec eux. Ils sont contents , ils me demandent de leurs apporter des bonbons lors de ma prochaine visite. Car ils veulent que je retourne les voir. Vous imaginez, des ados et ils veulent des bonbons. OUF!
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J'ai fais la promesse de leur faire suivre: Bonbons, casquettes, linge
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On emballe les affaires et voici le moment du départ.
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Je suis vidée émotivement. La grande majorité de ces jeunes n'ont jamais connu l'amour, une famille, le respect...Ça me révolte. Facile de dire que ce ne sont que des petits voyous....mais qui ne volerait pas une pomme, si son estomac était vide depuis plusieurs jours. Quel sont les alternatives proposés à ces jeunes?
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Le besoin est grand. Des initiatives comme le Village Pilote, il en faudrait des dizaines et des dizaines.
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Après une autre longue marche nous voici de retour au centre. Des petits nous acceuillent avec un sourire, ils sont en train de faire leur lessive.
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Ceux qui me connaissent bien, comprendront comment par cette expérience, je crois avoir atteint mes limites. Mais je peux aussi dire que je vois cette expérience comme un beau cadeau que je me suis fait. J'ai réussi à surmonter mes craintes, mes peurs, mes émotions et j'ai eu le privilège d'être reçue dans un groupe de jeunes qui seront dorénavant pour moi un exemple de courage. Lorsque je serai face à de petits tracas, penser à la vie de ses jeunes me permettra de relativer.
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Recueillir des rires, des sourires de jeunes qui auraient toutes les raisons du monde de ne plus s'ouvrir, de se fermer à la vie et aux adultes.
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J'ai espoir que plusieurs d'entre-eux s'en sortent grâce à leur volonté et aussi à des gens qui s'investissent sans compter pour les aider.
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Mon passage en Afrique m'apporte beaucoup...Je fais le souhait de ne jamais oublier ces jeunes. Ils sont devenus mon inspiration par leur courage, leur volonté à survivre malgré tout.
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Je n'ai aucune photo. Il est interdit d'en prendre dans l'enceinte du Centre. De toute façon par respect pour les jeunes, il serait indécent d'en prendre. Nul besoin d'images pour imaginer leur misère.
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Je vous invite à visiter le site. Moi de mon côté je vais profiter de mon passage au Québec pour acheter différents articles qu'ils ont le plus besoin. Je partagerai donc une valise entre mes Poupons et les garçons.
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Au plaisir de peut-être vous rencontrer au Québec. J'y serai du 14 mai au 1er juin.
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Bisous à chacun de vous.
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Johanne x
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